Quand fut dévoilée l'intention de Ducati de tenter une incursion dans le monde très exclusif du power cruiser, j'avoue, j'ai ricané! Et quand j'ai découvert que ce délire n'échapperait pas au grotesque gommard de 240, j'avoue, je la haïssais déjà avant de la connaître! Et puis cette diablesse a déboulé, avec son style tapageur et ce qui restait pour moi une tare, son énorme pneu arrière. Mais comme je suis un gars pratique, quand Ducati m'a proposé de l'essayer, je ne me suis pas fait prier!
Et je n'ai pas été déçu! Balayées, mes réticences face à un 240, oubliées, les horribles sensations ressenties au guidon d'une certaine enclume américaine que je ne citerai pas, censée jouer dans la même cour. La Diavel m'avait tout bonnement ensorcelé: si j'avais un jour à casser ma tirelire pour un produit de Borgo Panigale, je savais sur quelle machine jeter mon dévolu, ma seule angoisse se résumant à choisir quelle déclinaison de la belle (de la bête!!) retenir!
Oui, mais laquelle?
Pour être honnête, les variations se résumaient principalement à un choix de couleurs, et à un saupoudrage plus ou moins généreux de pièces exclusives, en carbone pour la plupart. Surprise à Milan deux ans plus tard, Ducati voit des "Strada" partout!
La Multistrada, on connaissait, la voilà qui revient enrubannée d'un patronyme "Granturismo" évocateur; l'Hypermotard se transforme en Hyperstrada, avec des velléités de voyage et, hérésie pour les uns, perplexité pour les autres, l'invraisemblable Diavel se donne des airs (presque!) civilisés en se baptisant Diavel Strada! Ducati a décidé d'inciter les Ducatistes au voyage, et plus seulement à se contenter de faire les "jouette" avec leurs joujoux!
Alors, là, les enfants, ça me parle! Moi qui pratique la moto tous les jours, plus par passion que par obligation, j'avoue que les bécanes avec lesquelles on peut aussi "rouler pour de vrai", et pas que le dimanche après-midi, sans que l'expérience tourne à la séance de torture, emportent généralement ma préférence.
Je suis un gars pratique
Encore tout émoustillé par ma rencontre avec la Diavel, qui s'était immédiatement hissée au niveau d'une Multistrada pour son agrément en usage quotidien, je ne pouvais que souscrire à l'apparition d'un peu de fonctionnalité dans la gamme diabolique.
Que les puristes se rassurent, l'essentiel est préservé! L'intervention humanitaire se détaille assez vite. De la proue à la poupe, nous découvrons successivement: une bulle Touring, un guidon rehaussé, élargi et reporté vers l'arrière, des poignées chauffantes, une selle Touring, de plus accueillants repose-pieds passager, un dosseret itou (sissy bar sur une Ducat', ça ne le fait pas trop! "Dossier passager" épargnera les susceptibilités!). Ajoutons-y, pour faire bonne mesure, deux prises 12V, un alternateur plus puissant, un ensemble arrière éclairage-clignotants plus convenu, mais surtout deux petites valisettes canailles accrochées de part et d'autre de la selle. Et ce n'est pas le choix de la couleur qui posera problème: du Race Titanium avec cadre et jantes noirs, point barre! L'addition ne se solde que par 6 kg de plus sur la balance, soit un très raisonnable pour la catégorie 245 kg tous pleins faits.
Bon d'accord, la poupe rentre dans le rang avec ses deux clignos plan-plan et ses petites valoches un peu hors contexte, mais l'essentiel est préservé, y compris cet impressionnant Pirelli Diablo Rosso de 240/45X17 sur lequel j'avais tant craché avant de l'avoir essayé!
Ca va causer
Nous retrouvons donc l'exceptionnel Testastretta 11°, sa puissance de 162 ch et son couple de 127,5 Nm, accompagné d'une bande son particulièrement évocatrice de son tempérament fougueux, ses radiateurs latéraux, mais aussi l'incontournable cadre treillis, la fourche Marzocchi inversée de 50 mm entièrement réglable, les superbes jantes usinées, le freinage monobloc confié à Brembo et complété de l'ABS.
Restons dans le domaine électronique pour confirmer la reconduction du Rid-by-Wire permettant le choix entre trois cartographies. Ces trois cartographies proposent du "full power" brutal pour les amateurs de sensations, du "full power " un peu plus poli et distingué, et du 100 ch pour les t…, pardon! pour la pluie! A chaque mode correspond, c'est une habitude chez Ducati, un réglage spécifique pour l'ABS et l'anti-patinage, chacun de ces réglages pouvant encore être paramétré aux désir du pilote.
En attendant, ça mouille
Pas de pot, il tombe des seaux quand je quitte Bruxelles en direction de la concession de Gand où m'attend la Diavel Strada déposée à mon intention par l'importateur. Super, me dis-je au guidon du Tmax, je vais me régaler aux heures de pointe avec la maousse Ducat' et son bouilleur dégoulinant de watts et de couple! En attendant, c'est moi qui dégouline dans le show room dédié à la marque italienne…
Prudent, je m'empresse de farfouiller dans les menus pour me contenter d'un modeste 100 ch, bien assez au vu de l'océan qui me tombe sur le casque! Même pas peur! A l'arrêt, le bestiau en impose; assis dessus à sortir le monstre du parking, pareil! Et puis, le miracle s'accomplit: la Diavel s'apprivoise et se laisse conduire, sinon avec la facilité d'une mobylette, du moins avec une certaine aisance. Je décide d'un peu hausser le ton. P…! Même castré à 100 bourrins, ça arrache les bras! Vivement que ça sèche! Mais pour ça, il faudra attendre le lendemain et une petite randonnée en direction de Moto Retro Wieze: 50 ans de présence Honda en Belgique, ça ne se rate pas, d'autant qu'une belle brochette de produits "Made in Alost" y est réunie, y compris ce SS50Z qui déchaîna mes premiers émois motocyclistes d'adolescent boutonneux!
Gaaaz!
Cartographie en mode "brutal" et Gaaaz! Je me régale avec la poignée! Ca pousse, ça gueule (mais comment font-ils, les "spaghettis", pour homologuer leurs bécanes avec une telle bande son?). Quel pied! La Diavel s'arrache comme un boulet, le frein moteur et l'équipage Brembo n'ont aucun mal à tempérer les ardeurs de cette diablesse qui ne rechigne même pas à enrouler les virolos à un rythme plus que soutenu. Un petit raccord d'autoroute me permet de goûter à la protection du pare-brise. Pour le retour à la casa, je décide de ne pas trop écouter mon GPS et me laisse guider à l'instinct chaque fois qu'un croisement me propose une route séduisante, au point de craindre parfois de me retrouver dans la cour d'une ferme! Et cette Diavel accepte tout sans broncher, dans un parfait contre-emploi. Si elle est capable d'aller se perdre au milieu des champs ou presque, elle conviendra parfaitement pour un commuting obligé: je dois filer à Zaventem prendre un avion pour une présentation. Cent bornes d'autoroute, une formalité avec la Ducati la plus confortable (à égalité avec la Multistrada, d'accord!), je bourre ma veste, mes bottes et mes gants dans les valises, j'attache mon casque aux poignées de maintien avec un cadenas, et voilà que ce diable de Diavel remplace mon scoot habituellement dévolu à ce genre d'exercice. Mais que manque-t-il à cette improbable Ducati?
Fieffée salope!
J'ai pris à son guidon un pied géant, j'ai adoré son côté "too much", alors qu'en même temps elle m'a permis de faire tout ce que j'attends d'une moto qui ne se contente pas du statut de jouet du dimanche!
Vous savez quoi? Cette fieffée salope me renvoie à la figure toutes mes contradictions! Je passe mon temps à maudire toutes ces motos trop puissantes, trop grosses, trop lourdes, trop chères; je passe mon temps à prôner un retour à plus de modération et de modestie, écrivant tout le bien que je pense d'une petite 500 ou d'une 700 à double embrayage, et me voilà jetant aux orties mes bonnes intentions et mon discours politiquement correct… La chair est faible: je kiffe à mort les sensations que me procure cette diablesse de Diavel! Tant pis, j'irai griller en enfer…