François Piette

7 OCT 2009

Jaguar Type E : Un long cigare mythique…

Retour à la fin des années 50. Jaguar en est alors à la XK 150, qui accuse sérieusement le poids des ans. Le style félin de la XK120, introduite à la fin des années 40, s’est empâté pour mieux coller aux canons esthétiques de l’époque et le résultat final est assez mitigé. De plus, à la conduite, la XK 150 pêche par une position de conduite typée vintage, une boîte Moss horripilante et un châssis assez médiocre… Bref, il est grand temps que la relève pointe le bout de son capot !

Secret bien gardé

Salon de Genève, mars 1961. Sur le stand Jaguar, trône une bombe. Une GT d’une pureté unique, à la ligne fuselée et aux performances annoncées exceptionnelles ! L’accueil du public et de la presse est dithyrambique ! D’autant que le prix est cruel pour la concurrence : Porsche offre sa 356 (qui ne compte qu’un 4 cylindres à plat) au même tarif ! La XK 150 est immédiatement oubliée. Les premiers essais de la presse révèlent une vitesse de pointe de 240 km/h. Un exploit pour l’époque. Un mythe est né.

Elégance et pureté

La première mouture, la plus pure, faisait appel au moteur XK sous sa meilleure forme. Cubant 3,8 l, ce 6 cylindres en ligne à double arbre à cames en tête fournissait 265 chevaux dans une sonorité grondante. La boîte, hélas, n’était pas au niveau du reste : il s’agissait de l’antique unité Moss à 4 rapports. Indestructible, mais incroyablement récalcitrante à l’usage ! La partie châssis était, quant à elle, résolument moderne : caisse autoporteuse, quatre roues indépendantes, freins arrière inboard et suspension arrière à 4 amortisseurs télescopiques. En clair, cette Type E avait un ramage à la hauteur de son plumage affriolant.

Embourgeoisement…

Pourtant, tout n’était pas rose : le moteur présentait une propension à chauffer plus que de raison, la faute à un circuit de refroidissement inadapté, le plancher plat des premiers modèles interdisait l’accès à bord pour les grands gabarits et les aspects pratiques étaient bien évidemment aux abonnés absents. Après trois ans de bons et loyaux services, le 3.8 l céda sa place à un 4.2 l de même puissance. Moins vif et, semble t’il, moins fiable, ce dernier donna un caractère plus confortable à cette GT. De même, quelques détails évoluèrent en ce sens, comme des sièges baquet remplacés par des éléments plus confortables, et l’aluminium bouchonné du tableau de bord fit place à un vinyle noir moins flamboyant…

Pataude

A l’instar d’une jeune fille ravissante aux courbes fermes, mais aimant les pâtisseries, la Type E s’empâta de manière confuse. La pure et légère voiture de sport que l’on connaissait devint vite pataude, par la faute des législations américaines (l’Eldorado pour les constructeurs européens de prestige). Ainsi, phares agrandis et dénués de bulle, clignotants grossièrement élargis, pare-chocs et butoirs plus épais, feux arrière alourdis, la Type E connût de multiples boursouflures et ses poignées d’amour n’avaient rien de très glamour… Même la puissance dégringola pour les modèles destinés aux marchés d’Outre-Atlantique. Une boîte automatique Borg-Warner à trois rapports venait enfin finir de confirmer la philosophie plus bourgeoise du modèle. Esthétiquement, le constat est plutôt amer, d’autant que les voies étroites s’accordent mal à la carrosserie plus élargie. Surtout pour les versions 2+2, au toit rebondi.

V12 !

Pour compenser la prise de poids et la chute de la puissance, Jaguar n’y alla pas par 4 chemins : un V12 alla trouver place sous le capot des dernières Type E (1971 – 1975) ! D’une cylindrée de 5,3 l, cette prestigieuse mécanique fournissait une puissance largement suffisante, redonnant des performances de premier plan au coupé britannique. D’une excellente fiabilité, ce groupe fût toutefois handicapé par un système de refroidissement inadapté.

A conduire

Les premières 6 cylindres présentent un moteur vif, grimpant volontiers dans les tours. La sonorité sourde du XK est un pur régal et se marrie à la perfection avec le bruit de succion des trois carbus SU. Le châssis est bien équilibré et la voiture paraît très saine et assez moderne dans les enchaînements de virage. Mais présentez-lui une route imparfaite et le constat sera tout autre ! La tenue de cap à haute vitesse exige une attention très soutenue. Bien entendu, la conduite est assez virile, entendez par là que les commandes sont fermes ! Enfin, le système de freinage apparaît satisfaisant pour l’époque (mais largement sous-dimensionné aux standards actuels). En clair, il n’y a vraiment que la boîte Moss qui pénalise l’agrément de conduite. Désespérément lente, elle oblige de décomposer calmement les rapports. Au moins se montre t’elle précise et… fiable !

La version à 4.2 l se montre plus confortable, mais perd en vivacité. L’athlète des débuts qui ne dédaignait pas un sprint à l’occasion penche désormais vers l’endurance, éventuellement à rythme relativement soutenu. Le moteur, moins vif, n’améliore pas les performances. Surtout les versions américaines ! Cependant, la boîte Jaguar est nettement plus aisée à manier que l’antique Moss.

Enfin, les versions V12 sont de véritables dragsters en ligne droite ! Le moteur mugit dans une sonorité grave, assez éloignée de celle des V12 transalpins. Bourrée de couple, la mécanique catapulte littéralement la Type E. Mais prière de maintenir un œil sur la température d’eau ! Pour plus de sensations, petit conseil, alimentez les douze cylindres avec six carburateurs Weber double-corps. La puissance en très nette hausse s’accompagnera alors d’une bande-son digne d’un V12 marqué par le cheval cabré !

Budget

La cote va du simple au triple, partant de 30.000 € pour une 4.2 l coupé 2+2 Série 2 à près de 100.000 € pour un cabriolet 3.8 l des débuts ! La version découvrable est forcément plus gratifiante, mais le coupé est moins cher, plus confortable, plus rigoureux et… encore plus chic, surtout pour les premières versions ! A méditer… Une V12 se négocie entre 35.000 et 60.000 €. Nous parlons ici de voitures en très bon état. Un exemplaire en état exceptionnel peut naturellement prétendre à nettement plus !

L’entretien est forcément onéreux, mais moins que pour une Aston Martin ou une Maserati de même époque. Distribution, circuit de refroidissement, allumage et carburation nécessitent des soins attentifs. Les vidanges se font à intervalle très régulier : environ 5.000 km, ou tous les ans.

Air conditionné, direction assistée, injection,…

De nombreux ateliers proposent de moderniser de manière plus ou moins prononcée les Type E, pour les rendre plus accessibles à la conduite et mieux adaptées au trafic actuel. Ainsi, la fiabilisation passe par un circuit de refroidissement très nettement optimisé, le faisceau électrique est optimisé et l’allumage fait appel à l’électronique.

Pour augmenter les performances de votre monture, tout est possible : boîte 5, carburateurs Weber voire injection, échappement libéré, arbres à cames plus « pointus », la liste est longue ! Même chose pour les trains roulant, qui peuvent faire appel à des amortisseurs, ressorts et freins modernes. Le comportement est alors transfiguré ! Voir à ce sujet les transformations Eagle, dont nous reparlerons bientôt…

Quant au confort, il vous est loisible de monter l’air conditionné, la radio avec lecteur CD, la direction assistée,…

A vous de voir, sachant que ces transformations, si elles facilitent l’utilisation et rendent la conduite accessible à tout un chacun, dénaturent forcément la saveur du produit originel…

Conclusion

La Type E est une légende. Sublime dans ses premières versions, elle proposait des performances inouïes à un prix défiant toute concurrence ! Encore performante aujourd’hui (un des premiers modèles m’a laissé sur place ce matin même !), elle distille un parfum de nostalgie et une authenticité que l’amateur de sensation serait bien en mal de retrouver aujourd’hui. Notre préférée ? Le coupé Série 1, avec le moteur 3.8 l. A savourer sur des nationales sinueuses, au crépuscule, la lumière rasante du soleil se reflétant alors sur le sensuel capot…
 

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